jeudi 28 octobre 2010

Phase 3 à Mons (www.projetphase3.com)

Phase 3 | Mons from Sébastien Rien on Vimeo.

experimental football (pour une bd de Stéphane De Groef)

Voilà là je bosse sur un projet artistique super pertinent

un truc vraiment grandiloquent

un truc quand tu vois ça tu te dis : purée mais ce projet artistique est vraiment hyper pertinent, hyper proche de plein de problématiques humaines super essentielles !

en effet ce qui se passe c’est qu’en ce moment je bosse sur un projet de philosophie expérimentale du football

un projet artistique que j’ai créé en collaboration avec les organisateurs d’un match de foot ultra important

une sorte d’œuvre d’art collective d’un nouveau genre

une œuvre d’art qui se sert de la scénographie particulière qu’est celle d’un match de foot de grande envergure

une œuvre d’art qui se passe donc in situ, dans un stade

dans un stade où on voit le public affluer pour venir voir un terrible match de foot

le public afflue

se masse sur les gradins

au moment où le public a accès aux gradins c’est le début de l’œuvre d’art d’ailleurs

c’est une œuvre d’art qui met des plombes à se réaliser puisque

manque de pot pour le public

hé bien les joueurs prennent un temps immense à arriver

l’attente dure des plombes

une fine pluie tombe sur la foule et sur l’herbe

et là c’est très intéressant puisque

le public venu spécifiquement voir mon œuvre d’art

et qui est disséminé dans le public des supporters du match

hé bien ce public amateur d’art a été mis au courant à l’avance

du fait qu’il s’agit en fait d’une œuvre d’art qui questionne la question de l’attente

j’avais écrit ça sur le carton d’invitation

avec quelques notions philosophiques à ce propos

philosophiques mais également théologiques

puisque la question de l’attente du retour de Jésus sur terre est évidemment une problématique théologique majeure

or donc voilà les gens du public amateurs d’art avertis

ils attendent comme tout le monde le début du match

début du match qui ne vient pas

les heures passent

la fine pluie continue de tomber

ce qui est très poétique quand on la regarde passer devant les lumières puissantes

or la foule des supporters ne cache pas son mécontentement

personne ne sait ce qui se passe

les supporters deviennent nerveux

ça hurle dans tous les sens

et là évidemment, naturellement, les amateurs d’arts tentent

tant bien que mal d’expliquer à leurs voisins

qu’il s’agit d’une œuvre conceptuelle sur la question de l’attente

ils tentent d’expliquer du mieux qu’ils peuvent grâce aux textes de l’invitation

qu’entre temps ils ont eu le temps de potasser

la pertinence du flottement temporel propre à ce moment d’attente

mais rien n’y fait

la plupart des supporters ne veulent rien entendre

à part quelques femmes

quelques femmes présentes là par amour pour leur mec amateur de foot

mais qui n’en ont en fait rien à branler du match

et qui

pour certaines d’entre elles

malgré ou grâce à cette pluie fine qui donne un lustre particulier aux visages

s’amourachent de l’un ou l’autre amateur d’art venu lui expliquer

le sens caché de la situation qu’ils sont occupés à vivre en ce moment…


Voilà voilà

l’attente s’éternise

la tension monte

l’humidité gagne du terrain

certains n’hésitent pas à aller s’acheter un hot dog

d’autres sont déjà passablement saouls

d’autres encore secouent les tribunes

tentent de tout casser etc

tandis que

nos amis amateurs d’art, eux

tentent de calmer le jeu avec leurs explications.


Toujours est-il qu’à un moment donné

toute la foule des supporters

hurle comme un seul homme car

les joueurs entrent en scène.


Mais problème car

ces hommes, plutôt que de se mettre à jouer au foot comme prévu

se précipitent sur les gradins

pour demander aux gens du public

qui préalablement avaient été chercher des hot dogs

si par hasard ils comptaient tout manger

si par hasard il n’y avait pas moyen de mordre un bout.


Et c’est là, à ce moment-là

tandis que les 22 joueurs sont là, dans les tribunes, occupés à manger des hot dogs

que les gens du public se rendent compte petit à petit

en les questionnant

qu’en fait ils ne sont pas les joueurs des deux équipes attendues pour faire le match.


En effet ce que j’ai prévu comme astuce dans mon œuvre d’art expérimentale

c’est de philosopher en acte sur la question de la monnaie humaine

de la monnaie humaine en tant que moyen de raccourcir l’attente eschatologique d’un monde meilleur

puisque voilà

j’ai en fait embauché pour cette œuvre d’art

des prédicateurs

spécialisés dans la conversion éclair aux valeurs primitives du Christianisme

je les ai embauchés pour qu’ils aillent prêcher dans les vestiaires du match

et convertissent illico presto l’ensemble des joueurs

ce qui n’a pas été une mince affaire mais finalement a marché

finalement ça a marché et l’ensemble des joueurs s’est retrouvé là

à se demander ce qu’ils foutaient là à gagner de l’or à la pelle alors que

par exemple en République Démocratique du Congo, toutes les minutes quelqu’un meurt de faim.


Ils se retrouvent là à méditer cela

c’est véritablement une grande tension qui s’installe dans les vestiaires

visible à l’œil nu par quelques amateurs d’art VIP qui ont payé un ticket spécial pour assister à cette scène

une grande tension qui se résout par une décision collective : non, nous n’irons pas jouer

ce monde est trop injuste

nous ne voulons plus participer à cette mascarade.


Ils discutent entre eux, tiennent un conciliabule dans les vestiaires

et prononcent des paroles extrêmement touchantes.

Dehors la foule hurle, trempée

et demande à voir du jeu.


Du coup ils se disent, avec beaucoup d’humour :

hé bien avec notre salaire mirobolant, payons des sans-papiers tiens

pour aller jouer le match à notre place !


Hop ni une ni deux quelques volontaires s’en vont chercher des sans-papiers

qui arrivent bientôt, affamés d’ailleurs, entre parenthèses

et montent sur le terrain

avec les conséquences que l’on sait.


Or ce qui est marrant c’est qu’entre temps

pendant ce long long temps durant lequel les gens du public attendent l’événement du match

hé bien aux vestiaires des décisions drastiques sont prises :

les joueurs décident de mettre en commun tous leurs salaires

d’affréter un jet privé direction le Congo

pour remplir celui-ci de candidats à l’émigration clandestine.


Les heures passent

le public est exaspéré, liquéfié

les amateurs d’art essayent de prêcher la bonne nouvelle de l’attente comme questionnement artistique pertinent mais

les supporters se trouvent excédés par le jeu minable des sans-papiers sur le terrain

payés pour remplacer les stars du foot reconverties.


Plusieurs heures après

les joueurs convertis se pointent finalement sur le terrain

et expliquent, sans que personne n’entende quoi que ce soit, à cause du bruit

que des migrants arrivent du Congo par avions entiers ici même dans le stade

et qu’ils prient les supporters de bien vouloir leur réserver bon accueil.


Boum les migrants arrivent

sur le terrain

personne ne comprend rien

ni eux ni les supporters

ni d’ailleurs les sans-papiers embauchés

c’est vraiment le chaos général

une sorte d’apocalypse faite de corps humains

ce qui

évidemment

pose toute une série de questions philosophiques très pertinentes

tellement pertinentes en fait

qu’il nous faudra plusieurs jours

pour en venir à bout.