mardi 21 décembre 2010

mon ami barbu (Andy Fierens)

En ce moment c’est parti pour un nouveau bouquin

un livre pas mal je dois dire

puisque très drôle puisqu’on voit au début un mec

un barbu, vraiment très barbu

(ce qui tout de suite me donne l’occasion d’ailleurs de philosopher

d’entrer en matière par de longues pages de philosophie passionnantes

sur la question du corps, de la gestion de l’hygiène du corps)

on voit comme ça au début de mon bouquin ce mec, barbu

philosopher avec sa femme, ses enfants

à poil dans la salle de bain

sur la question du poil, de la barbe

sur la question cruciale qu’est celle de savoir s’il faut ou non se couper les poils, les cheveux, les ongles

car en effet dans cette famille ils ont décidé de devenir

des intégristes expérimentaux

des intégristes de la biologie en fait, plus précisément

mais expérimentaux.


Le mec est là avec sa barbe, il spécule à poil dans la salle de bain avec ses enfants

ses enfants lui expliquent qu’il fait bien de refuser de se couper la barbe

que franchement ce que Dame Nature nous donne il nous faut le garder

que par exemple eux ils pissent exclusivement dans des bouteilles

grande révélation

ses enfants lui révèlent qu’ils pissent exclusivement dans des bouteilles qu’ils cachent un peu partout dans leur chambre, sous les meubles etc, même dans la cave

ce que le mec en question n’avait pas du tout remarqué puisque lui son métier c’est

poète sonore expérimental et qu’à ce titre

il est souvent en tournée

en tournée générale à gauche à droite.


Voilà ça spécule ça spécule

ça spécule poils et restes de corps, excès de corps, matières extirpées de corps

on en vient à la question de l’organe, du rôle de l’organe, de l’organisme, de l’organisation

et là du coup évidemment on voit venir l’affaire puisque le mec demande :

hé ben et pour déféquer comment faites-vous ?

(ils sont très polis dans cette famille, ça les fait rire d’être polis donc ils le sont)

hé bien papa, nous pour déféquer nous faisons comme Dame Nature nous commande de faire

nous observons ce qui se passe dans la nature quoi

nous voyons les insectes coprophages faire leur boulot par exemple

ce qui nous a donné des idées expérimentales

on a par exemple via internet

pris contact avec une équipe de chercheurs en Chine qui

bossent sur ce sujet, sur le sujet crucial pour l’avenir de l’humanité qu’est la question de la nourriture

et nous expérimentons depuis un petit temps

grâce aux techniques déjà élaborées en Chine

des moyens d’être auto-coprophages

en transformant nos fèces en hamburgers

lui expliquent-ils

toujours à poil et barbu

dans la salle de bain.


Le mec se caresse la barbe pour réfléchir

il regarde sa femme, à poil dans le bain

défigurée à cause d’une vilaine chute à vélo

il regarde ses enfants

il se regarde dans le miroir

et là il se voit, il voit sa barbe, ses mains dans sa barbe

et

bizarrement

cette scène lui

donne une furieuse envie

de faire caca.


Aussitôt dit aussitôt fait

le mec s’assied sur la toilette

ses enfants lui disent

très bien papa

exactement ce qu’il nous faut on va te montrer

comment ça marche.


Tandis que les enfants s’éclipsent

la femme du mec, défigurée donc

par ce vilain accident lui explique

que elle depuis qu’elle a un œil en moins et la

mâchoire complètement bousillée

elle est vachement contente que ce soient les enfants

qui s’occupent de faire à manger tous les soirs

et que elle franchement les hamburgers qu’ils cuisinent

elle trouve pas ça dégueu

de toute façon dit-elle, moi je suis complètement déprimée

à cause de mon accident.


Les enfants reviennent avec un hot-dog qui a l’air tout à fait convenable

tout à fait propice à l’ingestion, ce que le mec fait

il mange son hot-dog fait maison

se regarde dans le miroir et dit :

j’aime mes enfants.


Il décide du coup de leur raconter une blague :

il leur dit comme ça :

vous connaissez la blague du coprophage tartiné ?

ah non répondent-ils, mais raconte toujours, ça nous intéresse.


Hé bien c’est un mec, un coprophage donc

qui va se promener avec son chien

dans la rue, pour faire le tour du

pâté de maisons.


Au coin de la rue il croise son copain nécrophage

un artiste qui a dans l’idée de bosser dans les hôpitaux au service crémation des déchets

pour prendre les morceaux humains intéressants afin de faire

un banquet cannibale 100% légal, et 100% bio aussi, par la même occasion.


(puisqu’en effet mon livre, on l’aura compris, s’articule autour des problématiques hyper-contemporaines de la nourriture dans le monde face à la surpopulation, et de l’impact écologique gigantesque lié à la production de cette nourriture)

Ils discutent un bout de chemin ensemble

et là ce qui se passe c’est qu’une bagarre s’enclenche entre leurs chiens respectifs.

Dans l’histoire le mec ne mentionne pas dans sa blague exactement pourquoi ces deux chiens se battent

le pourquoi, il ne le détaille pas, mais par contre le comment, ça oui

ça oui je décris longuement, très longuement tous les détails de cette cruauté sauvage

par la bouche du mec barbu qui raconte donc

cette blague à ses enfants.


Les enfants écoutent la blague

qui tire en longueur puisque le combat de chiens dure des plombes

tellement en longueur qu’à un moment un des enfants doit même aller pisser

ce qui est toute une opération évidemment puisqu’il faut trouver une bouteille vide

et un endroit où caser celle-ci une fois remplie.


Enfin bref les chiens se battent à mort

ils sont presque morts, dans la blague du mec

tellement sur la limite entre la vie et la mort que le nécrophage

dit au coprophage

intéressant hein, comme scène ?

oui, j’allais te le dire, répond l’autre

ha dit l’un

ça me donne une idée

dit-il à l’autre

sur quoi l’autre dit comme ça

vas-y accouche

et l’un, le premier, qui dit

eh si on se la pétait hommes préhistoriques expérimentaux ?

ah dit l’autre, je veux bien mais comment ?

ben dit le premier, si on se tartinait avec les corps de nos chiens

à moitié morts mais encore à moitié vivants ?

ouais dit l’autre, faisons ça, un vêtement spécial chien

ouais, spécial chien, spécial en hommage aux hommes préhistoriques

qui s’habillaient de peau

et ont dompté les loups sauvages

pour les transformer progressivement en chienchiens, en caniches etc

haha ouais ouais !

répond l’autre et ils le font.


Ils se foutent à poil en rue

raconte le barbu à ses enfants

ils se foutent à poil en rue et se font un vêtement avec leur chien respectif

puis tout contents

vont au café !


Haha ça ça fait rire les enfants évidemment

puisqu’il est bien connu qu’il n’y a pas

plus cruel, plus sadique qu’un enfant.


Dans le bar, grosse ambiance

vu qu’ils font la connaissance d’une vieille saoularde

SDF, alcoolique, qui se promène partout avec une tripotée de sacs plastique

dans lesquels elle planque tout ce qu’elle trouve d’intéressant dans les poubelles.


Evidemment ils sympathisent, puisqu’eux aussi, la récup c’est leur dada

ils sympathisent, ils picolent

explique toujours le barbu à poil dans la salle de bain à ses enfants

puis à un moment la vieille dit

bon moi je vais pisser

qui vient avec moi ?

Les deux se lèvent comme un seul homme

et descendent pisser avec la vieille.

Les toilettes du bar sont au sous-sol

il fait sombre et le chemin

n’est pas clairement indiqué.


Du coup ils se paument dans les méandres de la cave

tombent dans un trou tellement ils sont bourrés

et se retrouvent comme trois cons

dans les égouts de la ville.


Ca les fait marrer évidemment

ils s’enlacent de rire

etc etc etc, vous devinez la suite

lance le barbu à ses enfants.


Cool ta blague, papa !

mais elle se termine comment, en fait ?


Oh hé ben ils marchent comme ça dans les égouts un bon moment

ils passent sous plein de maisons, qui déversent plein d’eau, de chasses etc

ils se prennent plein de fèces et d’urine dans la tronche

à toutes les maisons c’est pareil

jusqu’à une maison

une maison dont le trou qui débouche sur l’égout ne

déverse remarquent-ils

vraiment rien

que dalle.


Ils se disent : ok les amis, pénétrons dans ce trou-là

on se fera moins tartiner d’ordures que dans les autres !

Bonne idée !

et ils y vont.


Ils pénètrent dans la cave de ladite maison et là

découvrent pourquoi il n’y a pas de flotte qui coule des égouts :

en effet la cave est remplie de bouteilles d’urine

des habitants de la maison !


Ca les fait rire

sauf que la vieille est persuadée qu’il ne s’agit pas d’urine

mais d’alcool fort

et du coup

elle s’enfile une bouteille entière, à fond, tandis que ses comparses

s’endorment

vautrés dans les bouteilles de liquide jaune.


C’est ça la fin de ta blague, papa ?

C’est nul cette blague, papa, cette blague du coprophage tartiné !

Mais oui chéri, lui dit sa femme, toujours dans le bain, défigurée, c’est nul cette blague, pourquoi racontes-tu ça ?


Evidemment que c’est nul ! crie soudain le barbu

c’est complètement nul car c’est à la mesure de votre cerveau dégénéré

ah ça m’apprendra à partir en tournée toute l’année

regardez-vous quand je reviens

vous êtes complètement pervertis !

Et il les enferme dans la cave

avec leurs milliers de bouteilles d’urine

et leur lance :


tartinez-vous bien hein !

restez bien là ! enfermés de force !

moi de mon côté je vais écrire un livre sur la question

je vais essayer de vous tirer d’affaire en justifiant vos délires

par un livre philosophique sur la question

je vous délivre

dès que j’ai fini.


Et il ouvre son laptop

s’installe tranquillement sur la toilette

se caresse la barbe

et se met au travail.

Il se met au travail et se dit :

je vais composer un livre performatif

un livre performatif expérimental dont le concept est

qu’il devra être écrit durant le temps exact qu’il me faut pour

déféquer.

Quel défi

n’est-ce pas

surtout quand on sait

quel genre de bouquin le mec en question

se met dans la tête d’écrire