vendredi 12 novembre 2010

SAC PLASTIQUE 100% ROUSSEAUISTE

Là ça y est, je suis parti là, je suis en route avec toute mon équipe de collaborateurs triés sur le volet, on est tous en route pour le tournage expérimental de notre prochain film qui traite du rapport de l’homme à la nature. C’est un film pour lequel – attention – j’ai obtenu de tous gros budgets, ce qui est assez rigolo vu l’idée de départ, mais bon voilà, ça y est, on est partis. On est partis là, on est en route, tous ensemble et je dois dire que dans l’équipe ça spécule déjà bien sur le grand enjeu général mégalomaniaque de notre film. Grand enjeu général mégalomaniaque qui est, tout bonnement, tout naturellement, l’enjeu en même temps le plus mégalomaniaque et le plus nécessaire qu’on puisse imaginer à notre stade d’avancement de l’humanité : sauver la planète en faisant de l’art contemporain tout public. Voilà, tout simplement et pour faire court, l’enjeu de mon nouveau film, l’enjeu de mon nouveau film-expédition qu’en ce moment même je suis occupé à réaliser avec toute cette équipe de collaborateurs triés sur le volet qui m’accompagne.

On est là et on rame en fait, c’est ça la première scène du film : on voit des gens ramer, tout simplement, tout bonnement, dans des bateaux gonflables, sur l’océan.

Evidemment dans le film c’est hyper mégalo puisque la scène est filmée de façon je dois dire hyper expérimentale, hyper expérimentale puisque le but est de faire participer la multiplicité toujours croissante de déchets et de traces que l’humanité laisse derrière elle, au tournage du film.

C’est une sorte de fétichisme mégalo, ce autour de quoi tourne notre film. On s’est dit comme ça : soyons mégalo, sauvons l’humanité, sauvons l’humanité de ses déchets, sauvons l’humanité de ses déchets par ses déchets. Comme chacun sait, la chance est dans le danger, se dit-on comme ça, ici, occupés à spéculer en ramant à bord de nos bateaux gonflables.

On se dit : notre projet de sauvetage doit relever de l’acte, du passage à l’acte, on est dans la logique de l’action nous, ici, avec nos budgets colossaux, occupés à ramer en plein dans l’océan Pacifique. On est dans l’acte d’ériger le déchet en héros du sauvetage de la planète. On est des artistes bios écolos mégalos hyper exigeants mais un poil niaiseux, et on croit en notre projet. Point barre.

Tout ceci est hyper mégalo évidemment puisqu’il faut savoir que nous travaillons en connexion directe avec le cosmos, on est en connexion permanente avec un satellite en fait, qui a fait déjà pas mal de boulot à notre place je dois dire, pas mal de boulot préparatoire au film, puisque ce satellite est en connexion permanente avec une puce introduite dans un déchet quelconque, choisi au hasard, déchet choisi au hasard qui a été érigé pour nos raisons artistiques en héros de l’histoire.

Et là, dans le film, dans le film après avoir vu comme ça une bande de gens ramener avec le soleil en plein cagnard dans l’océan Pacifique, hé bien soudain : paf ! – changement de scène.

On se retrouve sur le parking d’un Super U, à Béthune. Scène très belle puisqu’il y a clair de lune, clair de lune et sac plastique. Tout de suite dans le film on se rend compte que c’est ce déchet-là, ce sac plastique, qui va devenir le personnage principal de l’action du film. Tout simplement, ce qui évidemment donne au film une touche expérimentale. On voit comme ça ce sac bouger, danser élégamment dans le vent, c’est très poétique. En même temps c’est pas mal glauque aussi, puisqu’il s’agit d’un parking de super U, la nuit. C’est glauque, il ne se passe rien d’autre que ce sac plastique qui se gonfle poétiquement dans le vent. Béthune. La seule chose qu’on comprend, c’est que durant sans doute une bonne partie du film, hé bien on va se taper ce sac plastique comme héros principal de l’histoire. Brrr. Chiant.

Chiant mais en même temps c’est ce sac, on l’aura compris, qui nous conduit, moi et mon équipe, en bateau gonflable au milieu de l’océan Pacifique. Ce qu’on fait là, occupés à ramer, c’est retrouver la trace de ce sac, relié par satellite à nos machines GPS. On rame pour retrouver le héros de notre histoire, occupé à flotter, lentement mais sûrement, en direction du grand rassemblement de sacs plastiques découvert récemment au carrefour des courants de l’océan Pacifique, grand rassemblement de sacs plastiques dont la surface est aussi grande que celle du Texas. Check google, c’est vrai.

Mégalo n’est-ce pas, que de se mettre en route vers la Mecque des sacs plastique avec une armada de bateaux gonflables, à la recherche du sac plastique héros de l’histoire ?

D’autant plus mégalo qu’évidemment pour obtenir ces budgets colossaux pour notre film il fallait bien qu’il se passe des trucs un peu juteux, dedans. C’est là qu’on a décidé de se la jouer tout public. On s’est dit : pour être tout public, interrogeons le public. « Si je vous dis sac plastique, vous pensez à quoi ? » - « à une tête géante d’un enfant sortant du sol », nous répond une femme très belle, le lendemain matin, sur le parking du Super U, devant le mur du dit Super U enduit de crépi sous une grèle suintante. Et elle nous explique tout un truc pas possible, d’une violence gratuite et absurde, mais exigée par quelqu’un de vraiment tout public.

C’est triste à dire mais voilà : on a tourné la scène de torture en question exigée par cette femme très belle sur le parking, un poil sadique sur les bords. On a fait une scène assez réaliste dans laquelle on voit ce parking de supermarché, en travaux, avec des bétonneuses etc, la nuit, au clair de lune. Une bande de salauds passe, ricane à la vue de la scène. On se demande pourquoi. Brrr. Ils longent les maisons autour du parking avec leurs tablettes de fenêtre bien décorées, genre statuette de berger et bergère à moitié nus par exemple, en porcelaine par exemple, ce qui a le don de faire ricaner la bande de salauds encore plus. Là, la femme légèrement sadique sur les bords interrogée sur le parking du Super U, et grâce à laquelle on est occupés à construire un film vraiment tout public, hé bien a exigé qu’on fasse gueuler à cette bande de crapules, comme ça dans la nuit : “faut donner de l’air à ces habitants !” et : “Ho, faut que ça respire, là-dedans!” Sur quoi ils défoncent une de ces fenêtres, genre celle avec lesdits berger et bergère – sans doute parce que c’est celle qui leur semble la plus sexuelle, qui sait? – pénètrent dans la maison (on sent la tension monter dans le public, n’est-ce pas?) puis ouvrent toutes les portes de toutes les chambres, pour aérer. Bang, comme par hasard ils découvrent un enfant occupé à dormir, le kidnappent sans autre forme de procès et se retrouvent vite fait bien fait, toujours occupés à ricaner, sur le parking du Super U de Béthune, toujours en pleine nuit. Le parking est toujours en travaux, et toujours selon les indications de cette belle femme à hauts talons un poil perverse interrogée sur ce même parking, hé bien ils ont l’idée atroce de couler une chape de béton et de plonger l’enfant dedans… Evidemment comme la scène est filmée depuis le point de vue du sac plastique ça fait une tête géante, exactement comme la femme perverse en question le souhaitait. Dans l’histoire l’enfant se met à gueuler évidemment, on ne voit que sa tête qui dépasse du béton, l’enfant gueule, les voyous se marrent puis détallent comme des lapins car ils entendent du bruit.

Il y a du bruit, c’est le bruit du vent en fait, l’enfant gueule, le vent arrive et pousse le sac plastique dans la bouche ouverte de la jeune victime. C’est très poétique même si extrêmement pathétique également, car ces mouvements dudit sac plastique sont vraiment grâcieux, et pour les besoins dudit film tout public, nous avons choisi un enfant très très beau évidemment.

La suite du film se passe le lendemain matin quand toute une équipe de pompiers s’échine à extraire le corps de l’enfant de la plaque sèche de béton. Là encore, ultra-poétique comme scène, puisqu’on voit hyper dans le détail et très lentement le corps de l’enfant apparaître d’entre le béton, c’est vraiment comme l’épanouissement d’une fleur image par image dans un film. Très chic tout ça.

La victime avait avalé le sac plastique évidemment, via la puce-caméra introduite dans les mollécules du sac on peut suivre attentivement la digestion impossible dudit sac, ce qui donne des scènes assez expérimentales je dois dire, dans le film, puisqu’on voit l’enfant mais de l’intérieur. Brrr…

Mais enfin toujours est-il que le temps passe, l’enfant termine sa digestion impossible et dans d’atroces souffrances finit par accoucher du sac plastique. Evidemment ceci est un moment charnière de l’histoire du sac plastique, on s’en doute, puisque la victime ne veut plus en entendre parler et s’en débarrasse.

Toilette, égouts, rivière, mer du Nord, océan, le tout est filmé depuis le point de vue du sac plastique, qui vit plein d’aventures pas mal intéressantes. Et nous, comme des cons, avec nos gros budgets en poche, on rame dans le Pacifique à la recherche du héros de l’histoire, bientôt arrivé à la Mecque des sacs plastique.

Il est temps d’introduire les gens de l’équipe, maintenant, maintenant qu’on arrive à la Mecque du plastique. J’ai choisi pour le tournage de ce film des coéquipiers vraiment triés sur le volet, des gens qui pour des questions poétiques, philosophiques et politiques évidentes ne sont en fait pas des humains, pas des humains mais des singes. Gros plan sur eux, on voit ce groupe de singes dans un moment de repos (après le repas), filmé comme dans un film animalier. Ils rament doucement, lentement, c’est l’été, il fait beau, on est en mer. Tout va bien pour nous. On approche, ils sont sympa, contents, bientôt la Mecque. Ils digèrent lentement les graines de plantes et d’arbres que je leur donne à manger depuis des jours.

L’idée de ce film expérimental mégalo est toute simple, toute logique, toute politique, philosophique et poétique : on va construire une installation rousseauiste géante de retour à la nature. Haha ! Pas mal, n’est-ce pas, pour séduire le grand public? Une personne interrogée sur le parking du Super U disait : “la campagne en général, sauver la campagne, la nature, les forêts, planter des forêts, semer des graines, c’est ça être tout public aujourd’hui”.

Hé bien nous ici on croit en ça : on se dit : ok, soyons rousseauiste, la nature, il n’y a que ça de vrai. Approprions-nous cette immense flaque de sacs plastique faite de déchets flottant sur l’océan, approprions-nous ça et expérimentons un come back total à la nature là-dessus. Rien de plus tout public, tout le monde va chialer en voyant ça, cette compagnie immense de singes être larguée sur ce pays-sac plastique.

Et voilà, fin du film puisque lentement le public se rend compte que question bateaux gonflables flottant sur l’océan, il y en a en fait à perte de vue, c’est un peuple entier de singes et de bateaux gonflables que j’envoie au casse-pipe, avec dans chaque bateau des sacs de terre, de terreau et de sable en toutes grosses quantités. Hop on arrive à la terre promise du plastique, les singes, bien dressés grâce aux budgets collossaux dégagés pour l’occasion lancent la terre sur les sacs pour rendre le tout comparable à un pays et hop se mettent à vivoter là-dessus, défèquent les graines de plantes et d’arbres que je leur avais donné à manger, meurent, se nourrissent de cadavres, de terre et de plastique, les arbustres poussent doucement, et dans dix ans plus ou moins on aura un film pas mal, un film inhérent à la construction d’un pays-forêt entièrement flottant à base de sacs plastique, filmé 100% depuis le point de vue de nos amis les sacs plastique.

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